BICAMÉRISME

BICAMÉRISME
BICAMÉRISME

Pour les défenseurs du monocamérisme, le Parlement, organe représentatif préposé à la délibération publique des lois et des affaires gouvernementales, forum où dialoguent devant l’opinion les porte-parole des grandes tendances politiques, doit être formé d’une assemblée unique, microcosme de la nation. Pour les tenants du bicamérisme, le Parlement doit être fragmenté en deux assemblées, chacune dotée d’une composition et de pouvoirs propres, sœurs parfois ennemies, mais contraintes à agir de concert. Ce problème, qui aurait pu n’être que technique, faisait naguère l’objet d’une controverse souvent passionnée entre les théoriciens d’une certaine forme de démocratie libérale. Il a aujourd’hui perdu beaucoup de son acuité, mais conserve encore quelque actualité en France, où il est une séquelle de l’instabilité constitutionnelle, chronique depuis 1789. Après l’abolition des ordres privilégiés, survivance féodale contraire à l’égalité des citoyens et à l’unité de la nation, un essai de bicamérisme à l’anglaise était impossible. On essaya les autres systèmes; après la Chambre des pairs de la Restauration et celle de la monarchie de Juillet, le Sénat de la IIIe République parut stabiliser une certaine conception du parlementarisme bicaméral. Mais, depuis 1875, le rôle du Sénat n’a pas cessé d’être discuté; le maintien d’une seconde chambre a été un des enjeux de la bataille constitutionnelle de 1946 et son statut, sous la Ve République, a été périodiquement mis en question devant l’opinion, jusqu’à la tentative de réforme par voie référendaire de 1969.

Aucun autre pays n’a politisé, à ce point, le problème du bicamérisme. Certes, en Grande-Bretagne, la Chambre des lords a subi de rudes attaques, en 1911 et en 1947-1949, mais l’institution subsiste, dans un décor archaïque dévotement sauvegardé: anachronisme peut-être, mais rouage politique encore actif et qui, en tout cas, a servi de modèle, au moins lointain, aux institutions parlementaires non seulement dans les monarchies constitutionnelles, ou dans les pays du Commonwealth, mais encore dans bon nombre de républiques libérales, sinon démocratiques. Les États-Unis, de leur côté, n’ont jamais remis en question le schéma bicamériste, pourtant laborieusement élaboré en 1787 par la convention de Philadelphie; toutes les constitutions fédérales, ou presque, ont, à leur suite, adopté le même système, qui est censé contrebalancer la représentation de la nation entière par celle des collectivités étatiques qui la composent. Pourtant, il est visible que le statut des secondes chambres – sinon toujours leur existence et leur justification – est partout discuté. Cela fait plus d’un siècle que l’on a commencé de parler du déclin des «chambres hautes», imputable tantôt à une lente modification de leur composition et à l’abandon graduel de leurs privilèges, tantôt à des mutations brusques (lors de révolutions ou d’accessions de nouveaux États à l’indépendance), à l’occasion desquelles l’éternel débat est relancé.

Étonnante controverse, où les mêmes arguments sont sans cesse repris de part et d’autre. Parfois, elle se dissout en interrogations métaphysiques: le titulaire légitime de la souveraineté est-il le peuple, collectivité concrète et recensable, qui ne saurait – principe intangible autant qu’indémontrable – être représenté que par une assemblée unique, démocratiquement élue? Est-il la nation, concept mystique, dont les intérêts transcendants doivent, assure-t-on, être protégés contre les entraînements irréfléchis, grâce aux vertus du bicamérisme? Parfois, la dispute, sans être plus instructive, stagne au plan de la technique administrative, voire de mesquines préoccupations financières: les uns affirment que deux chambres sont indispensables à la qualité du travail législatif; les autres qu’elles occasionnent un gaspillage de temps et d’argent.

La thèse généralement acceptée fait le départ entre deux types de bicamérisme: l’un purement technique, celui des États fédéraux, où la «chambre des États» serait une pièce nécessaire à la cohésion d’un système fondé sur l’autonomie et la participation des membres de la fédération; l’autre, politiquement marqué, celui des États unitaires, où le bicamérisme serait une survivance des temps aristocratiques, et la chambre haute une représentation privilégiée des «gens distingués par la naissance, la richesse ou les honneurs», selon la formule de Montesquieu. Bref, selon le critère démocratique, un «bon» et un «mauvais» bicamérisme. Tout en traduisant un aspect important du problème, cette présentation manichéenne fausse quelque peu la perspective. Elle schématise à l’excès, en adoptant un critère qui ne permet pas de cerner correctement les attributions ni la mission politique exacte de la seconde chambre, et en ignorant certains liens subtils qui existent entre ces deux types de bicamérisme. Elle dissimule ou minimise le fait que le fédéralisme sert parfois de justification au maintien de structures conservatrices; elle semble tenir pour irrémédiable le rôle conservateur de la seconde chambre d’un État unitaire et pour inconcevable l’hypothèse d’une chambre «rénovée» dans une «république moderne». Elle oublie que, le temps aidant, l’épure constitutionnelle initiale peut se trouver gauchie par la coutume et le «jeu politique». Sans repousser totalement la division traditionnelle, il importe de la confronter au panorama complet des institutions parlementaires, pour y apporter les nuances indispensables, rechercher de nouvelles corrélations, un éventuel dénominateur commun et les mutations possibles de l’institution.

1. Le bicamérisme dans le monde

En 1991, sur 154 États dotés d’une représentation parlementaire, 96 étaient monocaméristes et 55 bicaméristes (si l’on y incluait le cas particulier de la Yougoslavie, qui relevait plutôt du polycamérisme): le monocamérisme l’emporte nettement en conséquence de son adoption massive à l’époque des républiques populaires et des indépendances africaines. Bien plus que les solidarités géographiques (encore que le continent américain soit assez nettement bicamériste) ou culturelles (par exemple l’héritage britannique dans les pays du Commonwealth), trois données paraissent immédiatement déterminantes dans l’option pour ou contre le bicamérisme : la taille de l’État, son régime politique, la date de sa constitution.

Tous les États géants (par l’étendue, et non pas forcément par la puissance) ont, sans exception, opté pour le bicamérisme; très souvent, ils ont choisi en même temps une organisation fédérale. À l’inverse, bien peu d’États lilliputiens (Trinidad et Tobago) ou simplement petits (Portugal, Suisse) ont pu s’en offrir le luxe. Dans les États de taille moyenne, ce n’est que subsidiairement que d’autres considérations, politiques ou historiques, entrent en jeu.

Un régime socialiste optera plus volontiers pour une constitution monocamérale, tandis qu’un régime libéral préfère un parlement bicaméral. Mais le lien, pour logique qu’il apparaisse, n’est pas univoque, comme en témoignent, entre autres, les pays qui furent divisés par la guerre froide. Sans doute la corrélation était-elle respectée dans le cas des deux Allemagnes. Mais elle est contredite pour les deux Corées (monocamérales) et les deux Chines (deux chambres à Pékin et une seule à Taipeh). Dans le cas de la Chine populaire, comme dans celui de l’U.R.S.S., c’est le critère de la taille qui a prévalu sur le critère idéologique.

Parler de modes constitutionnelles, comme en matière vestimentaire, semblera peut-être léger. Mais on admettra sans doute plus aisément que chaque époque a un style identifiable, même à travers les variétés régionales; ce style est seulement plus ou moins marqué, notamment selon que les auteurs de la constitution œuvraient en terrain vierge ou rajeunissaient simplement des institutions vieillies. À chaque époque correspond un modèle, plus ou moins fidèlement reproduit par les copistes; une même institution, prise à un moment différent de son évolution, peut servir de modèle à des époques successives; une adaptation d’un modèle ancien peut être choisie à son tour pour modèle. S’agissant du bicamérisme, on constate que, quasiment de rigueur avant 1914, il devient facultatif entre les deux guerres, et presque insolite dans les constitutions entièrement élaborées après 1945. Quant aux modèles, seule une perspective historique permet de bien les situer; tous, directement ou indirectement, sont issus de la Chambre des lords, «mère» des secondes chambres comme la Grande-Bretagne est «la mère des Parlements».

2. Les secondes chambres aristocratiques

Descendante, elle-même, du Magnum Concilium des rois normands et, à travers lui, du witenagemot des Saxons, la Chambre des lords est généralement tenue pour une pièce de musée, élément du folklore britannique, que l’on considère tantôt avec l’attendrissement réservé aux «chères vieilles choses», tantôt avec l’acrimonie des jeunes générations pour les survivances gérontocratiques. À la fin du siècle dernier, Bagehot ne lui attribuait déjà plus qu’un rôle symbolique: non pas «rempart contre la révolution», mais «signal indicateur que la révolution n’est pas aux portes». En dépit de diverses atteintes, le principe héréditaire y demeure, en plein XXe siècle, la base quasi exclusive d’un recrutement véritablement pléthorique, puisque l’effectif des membres de droit dépasse le millier: heureusement, la plupart des lords «honorent la Chambre de leur absence», selon la formule d’un spirituel leader libéral, et le travail réel y est accompli par un noyau d’hommes politiques âgés ou d’anciens grands serviteurs de la Couronne, peu disposés, quelles que soient leurs convictions, à bloquer la réalisation d’un programme législatif approuvé par le pays. C’est grâce à ce self-control, bien plus que par l’effet des restrictions de pouvoirs que lui a imposées le Parliament Act, que cette chambre «féodale» peut encore jouer sa partie dans la vie politique d’un État moderne: son rôle l’apparenterait cependant plus à un Conseil d’État qu’à une assemblée parlementaire du type habituel.

De la Chambre des lords est issue, en ligne directe, une première génération de chambres aristocratiques, florissante dans l’Europe du XIXe siècle et, aujourd’hui, éteinte après un lent déclin. La pairie héréditaire, ou même seulement viagère, n’a plus d’équivalent hors de Grande-Bretagne. Cependant, hors d’Europe, quelques monarchies «à l’ancienne mode» conservent des institutions nettement inspirées de l’exemple anglais, adapté aux données locales. Les Émirats arabes unis et la Jordanie notamment ont un sénat recruté, au choix du souverain, parmi les dignitaires ou hauts fonctionnaires; mais une durée limitée du mandat sénatorial vise à empêcher la constitution d’une «féodalité» de notables, comparable à la pairie anglaise. Sur les 55 pays bicaméristes, 8 laissent à la libre disposition du pouvoir une partie non négligeable des sièges de la chambre haute: ainsi la Malaisie avec 43 sièges sur 69.

3. Les secondes chambres conservatrices

En Europe occidentale, où le bicamérisme avait servi de garantie transitoire aux couches privilégiées de la population durant le délicat passage de l’absolutisme à la monarchie constitutionnelle, puis (éventuellement) à la république libérale, les secondes chambres, progressivement démocratisées, n’en conservent pas moins une «coloration» particulière, reflet de leur origine et du modèle qu’elles ont imité. Selon les cas, la parenté avec le modèle anglais est plus ou moins visible soit en raison de l’évolution propre de l’institution dans le pays considéré, soit parce que la copie n’était au départ que de seconde main (par l’entremise du modèle belge de 1831), soit par l’effet des «interprétations» imaginées par les tenants du parlementarisme nationalisé. Dans le cas français, la filiation historique apparaît nettement, en remontant le cours des constitutions successives, du Sénat républicain à la Chambre des pairs, puis au Sénat impérial. Ce cas est aussi un de ceux où l’on peut le mieux saisir les liens profonds qui existent entre la source aristocratique et la source fédéraliste du bicamérisme. Le Sénat de 1875 comportait, en effet, à côté de sénateurs inamovibles, une représentation de type pseudo-fédéral: les collectivités locales y étaient représentées avec une parfaite égalité, puisque toutes les communes, de Paris au plus petit hameau, disposaient d’un poids électoral équivalent; tel était le gage réclamé par les orléanistes pour leur ralliement à la République.

De tels liens sous-jacents entre les deux types de bicamérisme sont également perceptibles dans certaines constitutions fédérales: jusqu’en 1965, dans la fédération canadienne, les 102 sénateurs, chargés de représenter les provinces, étaient nommés à vie parmi les grands propriétaires fonciers. Il y avait là une tentative visible pour réaliser une synthèse entre la Chambre des lords et le Sénat des États-Unis qui, lui-même, si l’on en croit les premiers commentateurs de la Constitution de 1787, devait être une garantie contre les bouleversements sociaux. Derrière le modèle américain de 1787, dont se sont largement inspirées toutes les constitutions fédérales, on voit donc se profiler la Chambre haute britannique.

4. Le bicamérisme fédéral

Pourtant, le schéma théorique servant de justification au bicamérisme fédéral ne retient que la nécessité, pour l’équilibre interne de la fédération, de faire participer tous les États membres, sur un pied d’égalité, à l’œuvre législative et à l’action gouvernementale. Tout mouvement fédératif rencontre à ses débuts de semblables problèmes: les treize colonies américaines au XVIIIe siècle, l’Allemagne au XIXe, l’Europe occidentale au XXe. Dans les organes communautaires des Douze, c’est le Conseil des ministres qui joue le rôle du sénat ou du Bundesrat. Mais le dynamisme propre du phénomène fédératif modifie progressivement le rôle de la chambre des États: si les liens se resserrent, elle tend à devenir une chambre haute; si les liens se distendent, elle prend l’aspect d’une conférence internationale (Commonwealth) ou bien disparaît (sénat de la Communauté).

L’examen attentif des constitutions des États fédéraux oblige à nuancer quelque peu, même dans une perspective statique, les idées généralement reçues. En effet, à l’heure actuelle, tous les États fédéraux ne sont pas bicaméristes; la règle d’égalité a reçu des adaptations ou dérogations multiples; la répartition des pouvoirs, pas plus que la composition de la seconde chambre, ne répondent précisément aux données générales du schéma.

La sacro-sainte règle d’égalité entre les États n’est respectée que dans la moitié environ des constitutions, principalement sur les continents américain et africain. L’Europe lui a apporté des corrections: l’ex-U.R.S.S., en établissant, à côté des républiques fédératives égales entre elles, toute une gamme de républiques autonomes, de régions autonomes et d’arrondissements nationaux; l’Allemagne et l’Autriche, en accordant seulement à chaque membre de la fédération la garantie d’un minimum de voix. En Asie, l’Inde proportionne franchement le nombre des sièges au chiffre des populations. Les cas du Venezuela et de l’ex-Yougoslavie, bien que très différents, se rapprochaient au moins sur le fait que la seconde chambre n’est pas du tout censée représenter les provinces: nous sommes là aux antipodes des idées reçues sur le bicamérisme fédéral.

Une «chambre des États», pour répondre aux données du schéma théorique, devrait logiquement se présenter soit comme une réunion de délégations gouvernementales (Bundesrat allemand), soit comme un congrès des délégués élus des diètes provinciales (Bundesrat autrichien, Rajya Sabba indien). Lorsque ce mode de désignation indirecte a disparu, et même si, comme aux États-Unis, il n’est pas touché au dogme de l’égalité entre les États membres, la seconde chambre fédérale a perdu son originalité. Simplement, certaines minorités régionales sont surreprésentées, comme certaines minorités sociales le sont dans les chambres hautes. De même, sur le plan des pouvoirs, elle devrait essentiellement disposer des moyens d’empêcher les atteintes à l’autonomie locale; et c’est bien ainsi que les constituants de 1948 avaient conçu le rôle du Bundesrat allemand, dont l’action principale a cependant été orientée, en fait, dans un esprit différent, celui de contrebalancer la domination de la démocratie chrétienne au sein du Bundestag. Dans la quasi-totalité des cas, les pouvoirs des secondes chambres fédérales sont calqués sur ceux des chambres hautes des États unitaires, au point que leur contrôle sur le gouvernement et leurs attributions financières ont subi les mêmes restrictions que la coutume et les Parliament Acts ont apportées aux pouvoirs de la Chambre des lords.

5. Les chambres de réflexion

L’unité profonde entre régimes bicaméristes, au-delà de la distinction entre États unitaires et États fédéraux, se confirme avec ce qu’on pourrait appeler la troisième génération, celle du parlementarisme rationalisé. Les constitutions du XXe siècle, toutes plus ou moins marquées par cette «rationalisation» (dont les origines doctrinales remontent à Sieyès), s’efforcent, à l’inverse même du précepte napoléonien, de n’être ni «courtes» ni «obscures», mais de réglementer, jusque dans le plus mince détail, des mécanismes procéduraux répondant à des objectifs clairement définis. Or, à l’exception des constitutions allemande et autrichienne, ces monuments juridiques ne semblent tirer aucune conséquence, sur le plan des pouvoirs et encore moins sur celui de la composition, des caractères particuliers qu’on prête à l’idéale «chambre des États». Dans les États fédéraux, ni plus ni moins que dans les États unitaires, la «rationalisation» vise à conserver, du bicamérisme, les avantages techniques (amélioration du travail législatif) et éventuellement politiques (jeu de contrepoids), tout en éliminant ses inconvénients (lourdeur du système, obstacle au progrès social). Parfois, le bicamérisme est privé, ce faisant, de toute signification politique réelle: entre le Danemark monocamériste, la Norvège et l’Islande, où la seconde chambre est un comité issu de la première, les exégètes des constitutions écrites peuvent voir des différences, mais les spécialistes de la science politique n’en voient aucune. Plus fréquemment, on s’est ingénié à faciliter le dialogue entre les deux assemblées (par exemple, grâce à des commissions mixtes), tout en donnant le dernier mot à la chambre populaire. L’idée directrice est de confier à la seconde chambre un rôle de «réflexion», concrétisé par la participation effective à la délibération des textes législatifs assortie d’un veto temporaire plus ou moins efficace. En même temps se poursuivait un effort de démocratisation du recrutement, évidemment inégal selon les pays, quoique très généralement observable. Cependant, malgré une palette très riche de sénats aux compositions les plus diverses et souvent bigarrées, il semble qu’on n’ait jamais pu accorder, de façon pleinement satisfaisante, la représentativité particulière de l’institution à la mission qu’on lui destinait. Il en est résulté tantôt une seconde chambre somnolente et sans âme, tantôt une assemblée remuante et agressive, comprenant son rôle tout autrement qu’il n’avait été prévu.

6. Les conseils économiques

Un effort intéressant en vue de conjuguer démocratisation, rajeunissement et renforcement de l’institution aurait pu être plus sérieusement tenté du côté de la représentation des forces économiques, où certains ont vu les chances d’une nouvelle génération de secondes chambres. L’idée était séduisante de substituer aux représentants de structures politico-sociales périmées, ceux des «forces vives» productrices, jusque-là moins portées à partager les responsabilités effectives du pouvoir qu’à faire pression sur les autorités légales par la revendication publique ou la persuasion occulte. Les problèmes de gouvernement eussent été ainsi débattus, successivement: sur le terrain idéologique, par la chambre représentative du collège des citoyens; sur le terrain plus concret de la vie économique, par un dialogue entre les élus des producteurs et ceux des consommateurs.

À ces vues intéressantes sur le plan doctrinal – surtout pour les régimes socialistes où l’élaboration du plan est l’acte législatif fondamental – on a opposé peu d’arguments d’ordre théorique (touchant au dédoublement des électeurs en citoyens et en agents économiques, ou à la dualité d’un pouvoir politique et d’un pouvoir économique), mais nombre d’objections d’ordre pratique (sur la délimitation des compétences entre les deux chambres, le «découpage» électoral et le mode de scrutin utilisables, etc.), et surtout une grande force d’inertie. Dans certains pays libéraux (Allemagne de Weimar, France), on a vu naître des «conseils économiques», assemblées parlementaires au petit pied, techniquement compétentes, mais ayant peu de poids sur les événements et n’ayant pas l’autorité suffisante pour s’imposer en face de la chambre populaire ni supplanter la chambre haute. Quelques régimes autoritaires, comme l’Italie mussolinienne et le Portugal, ont utilisé les structures corporatives pour briser les syndicats et les partis politiques, tout en recrutant une assemblée docile; cela n’a pas donné fort bon renom à l’institution. La Yougoslavie entreprit une tentative très originale de fédéralisme économique, mais, dans sa version de 1963, la «seconde chambre» yougoslave était, en réalité, émiettée en quatre conseils aux attributions spécialisées, qui ressortissent plutôt à la notion de polycamérisme.

7. L’avenir du bicamérisme

Neutralisation politique progressive des chambres hautes, caractère fictif des particularités du bicamérisme fédéral, échec des expériences de rationalisation et de l’appel à la représentation des intérêts... Il n’y a rien dans ce bilan qui fasse bien augurer de l’avenir des systèmes bicaméristes, à l’heure même où l’institution parlementaire est contestée, tant sur le plan de l’efficacité que sur celui de la représentativité. Dans notre siècle assoiffé de vitesse, on récrimine contre les lenteurs de la procédure législative, à laquelle les navettes entre les deux chambres contribuent évidemment; Franklin disait déjà qu’un corps législatif divisé en deux chambres est une charrue attelée d’un cheval devant et d’un cheval derrière, qui tirent en sens inverse. Nombre de nos contemporains se satisferaient volontiers d’un président élu au suffrage universel, contrôlé par les sondages d’opinion, s’assurant de la confiance populaire grâce aux référendums et même soumis – concession difficilement admise par les zélateurs de l’ordre et de l’efficacité – à la pression revendicative des syndicats: à quoi, dans un tel système, pourraient servir deux chambres? D’autres, qui croient encore à l’utilité d’une classe politique exerçant, sur mandat des électeurs, la fonction délibérante, estiment suffisant de soumettre le gouvernement au contrôle de l’assemblée issue du suffrage universel, consulté à la fois sur la composition de l’équipe dirigeante et sur le programme qu’elle appliquera.

À l’heure actuelle, seuls ceux qui attachent un prix particulier au type de gouvernement modéré demeurent partisans convaincus du bicamérisme. Et, puisque la tendance est aujourd’hui de simplifier, au nom de l’efficacité et de la stabilité gouvernementale, la représentation de l’opinion dans la première chambre, puisque la mode est au scrutin majoritaire et au bipartisme, pourquoi ne pas favoriser, au contraire, dans la seconde, une représentation aussi nuancée que possible des multiples tendances, en laissant leurs chances aussi bien aux formations politiques déclinantes qu’à celles qui demandent leur place au soleil? Les modes de scrutin proportionnalistes, condamnés au nom de l’efficacité après avoir été encensés au nom de la justice électorale, y trouveraient peut-être leur meilleur emploi.

bicaméralisme [ bikameralism ] n. m.
• 1928; de bi- et lat. camera « chambre »
Système politique à deux assemblées représentatives. Le bicaméralisme britannique. — On trouve aussi BICAMÉRISME , 1843 .

bicamérisme ou bicaméralisme nom masculin Mode d'organisation du pouvoir législatif selon lequel les compétences attribuées à l'organe législatif sont exercées par deux assemblées.

bicamérisme
n. m. POLIT Système fondé sur un Parlement composé de deux Chambres. (Par ex.: Chambre des députés et Sénat, en France; Chambre des lords et Chambre des communes, en G.-B.)

⇒BICAMÉRISME, subst. masc.
DR. CONSTITUTIONNEL. Système d'organisation parlementaire dans lequel le pouvoir législatif est confié à deux chambres :
... 30 000 électeurs environ, inévitablement choisis parmi les notables, constituaient donc le « pays légal ». Ils élisaient, sans condition de cens, un corps législatif qu'on divisa en deux conseils, le bicamérisme n'offrant plus d'inconvénient maintenant qu'on ne redoutait plus l'apparition d'une chambre des Lords.
G. LEFEBVRE, La Révolution fr., 1963, p. 458.
Rem. On rencontre dans la docum. le subst. masc. bicamériste « partisan du système bicaméral » (attesté dans LITTRÉ).
1re attest. 1843 (BARNAVE, Introd. à la Révolution Fr., publ. par M. Berenger de la Drome et Mme Saint Germain [sœur de Barnave], p. 111); dér. du lat. camera, préf. bi-, suff. -isme. []. Pour la rem. cf. bicaméralisme, s.v. bicaméral.
BBG. — SCHMIDT (H.). Fr. vivant. Rech. lexicol. Praxis. 1970, t. 17, p. 72.

bicaméralisme [bikameʀalism] ou bicamérisme [bikameʀism] n. m.
ÉTYM. 1843, bicamérisme; bicaméralisme, 1928; de bicaméral, lat. bi- (bis), camera, et suff. -al.
Polit. Système politique à deux assemblées représentatives. || Le bicaméralisme britannique. Doctrine politique qui prône un tel système.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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